Serial reporter
Voyage et découverte
La côte d'albâtre
De Fécamp à Yport, le long du littoral Normand
Quelques rayons de soleil roux percent à travers les nuages normands. Ils offrent des teintes changeantes à ce paysage singulier où la mer se conjugue à la campagne. Ces couleurs, ce décor ont été une source d’inspiration partagée par de nombreux artistes qu'ils soient peintres, sculpteurs ou encore écrivains.
Sur la Côte d’Albâtre, le blanc des falaises se fond dans le vert bleu de la Manche. Si Etretat est la plus connue des stations balnéaires de cette région, ce n’est pas sur elle que nous concentrerons notre article mais sur ses discrètes et charmantes voisines Fécamp et Yport.
Cumulant des caractéristiques géologiques remarquables et une histoire particulièrement riche, nous tenterons de lever le voile sur cette côte mystérieuse sous bien des aspects.
La Côte d'albâtre, la petite histoire geomorphologique
L’Albâtre est un minéral blanc translucide et tendre très utilisé en sculpture. Ce matériau particulièrement exploité au Moyen-Âge et à la Renaissance a donné son nom au littoral cauchois. Il fait référence à la couleur blanche laiteuse de ses célèbres falaises.
La Côte d’Albâtre, longue de 130 km est la plus longue côte d’Europe. Elle s’étend de l’estuaire de la Seine à celui de la Somme, du Havre à Dieppe. La côte est caractérisée par une alternance de falaises abrutes pouvant atteindre 110 m de hauteur entaillées de valleuses (dépressions ponctuelles dans la falaise parfois drainées par un cours d’eau qui permettent l’accès à la mer).
Pour percer le mystère de ces falaises opalescentes, il faut remonter au Crétacé. Situé à l’extrémité du bassin parisien, la Normandie est immergée sur une période allant de -100 à -80 millions d’années. Cette mer chaude et peu profonde est le témoin d’un boom planctonique qui fait exploser la population d’algues unicellulaires microscopiques, les Coccolithophoridés. Suite à la crise du crétacé tertiaire, la population est décimée de moitié. Les squelettes calcaires fossilisés de ces organismes (les coccolites) sédimentent au fond de la mer du Crétacé donnant naissance à d'énormes couches de craie.
Périodiquement et à plusieurs reprises, la mer s’est enrichie en silice. Cet élément a été concentré dans le squelette d’autres micro-organismes qui en sédimentant sont à l'origine de dépôts noirs de silex.
Les falaises de Fécamp et d'Yport sont constituées de l'empilement de strates de craie alternant avec des lits de silex.
Les plages de la Côte d’Albâtre sont souvent constituées de galets gris. Lorsque des flancs de falaise s’effondrent, la craie se dissout au contact de l’eau mais le silex plus résistant se retrouve poli au gré des vagues et crée ainsi les galets que l’on retrouve sur la plage.
Fécamp, le cap Fagnet (l'alternance craie/silex est bien visible)
Bloc-paysage « Falaises de la côte d’Albâtre » issu du panorama des paysages du littoral, 2017
Plage de Yport
Balade du Cap Fagnet
Des villages de pêcheurs aux stations balneaires :
Le poisson y est présent jusque dans son nom ! En effet, l’ancien nom de Fécamp, « Fiscan », signifie « rivière des poissons ». Les romains s’installent à Fécamp vers le milieu du 1er siècle avant J.C. Ils établissent leur camp à l’actuel emplacement de la chapelle Notre dame du salut au Cap Fagnet auquel on accède encore de nos jours par l’ancienne voie romaine.
Une abbaye de moines est construite au VIIème siècle puis détruite par les raids Vikings deux siècles plus tard. Au Xème siècle, la ville devient le fief des ducs de Normandie. Richard Ier fait construire le palais ducal. Guillaume le Conquérant y fêtera sa victoire de Hastings en donnant un somptueux banquet.
Ruines du palais ducal
A partir du XVème siècle, la ville de Fécamp devient un port central dans la pêche à la morue. Dans un contexte de découverte du nouveau monde, les équipages fécampois sillonnent les mers de Terre Neuve au Canada pour y rapporter le précieux poisson. On les nomme les terra novas. En 1903, le port de Fécamp atteint son apogée et devient « capitale des terra novas » avec 73 morutiers équipés de chacun 35 hommes. L’époque des terra novas prend fin en 1987 à cause des quotas de pêche imposés par le Canada.
Au XIXème siècle, la Normandie devient une destination touristique privilégiée. Fécamp passe du statut de port industriel à celui d’une station balnéaire huppée. Les parisiens se ruent dans les villes de la Côte d’Albâtre pour profiter des vertus thérapeutiques de l’eau, pratique particulièrement en vogue. Les médecins prescrivent même des bains de mer contre la dépression ou encore l’asthme ! Pour divertir les bourgeois, les villes de Fécamp et d’Yport se dotent de casinos, théâtres, cinémas…
La côte d'albâtre, berceau de l'impressionnisme :
Avec l’essor du tourisme et d’autant plus avec l’arrivée du train en 1848, les artistes découvrent la Normandie. Berceau de la peinture impressionniste, Eugène De la Croix, Claude Monet, Gustave Courbet prendront les paysages de haute Normandie pour sujet.
Fécamp, bord de mer par Claude Monet, 1881 au musée des Beaux-Arts André Malraux du Havre
Maupassant, lui, est né sur la Côte d’Albâtre. Même si son lieu de naissance est contesté, les documents officiels attestent que le petit Guy voit le jour au château de Miromesnil (Trouville-sur-Arques). A 3 ou 4 ans, il déménage avec sa famille dans le sud de Fécamp au château blanc de Grainville-Ymauville. Maupassant passe son enfance et son adolescence en Normandie ce qui influencera grandement son œuvre. En effet, il choisira un décor normand pour plusieurs de ses nouvelles.
Dans Miss Harriett, il décrit le littoral cauchois à travers les yeux de son personnage Léon Chenal, un vieux peintre en visite.
« Je venais de Fecamp en suivant la côte, la haute côte droite comme une muraille, avec ses saillies de rochers crayeux tombant à pic dans la mer. J’avais marche depuis le matin sur ce gazon ras, fin et souple comme un tapis, qui pousse au bord de l’abîme sous le vent sale du large. Et, chantant à plein gosier, allant à grands pas, regardant tantôt la fuite lente et arrondie d’une mouette promenant sur le ciel bleu la courbe blanche de ses ailes, tantôt, sur la mer verte, la voile brune d’une barque de pêche, j’avais passe un jour heureux d’insouciance et de liberte. »
Léon Chenal dans la nouvelle Miss Harriett de Maupassant
Sources :
- Le Monde.fr. 2019. « Voyage impressionniste sur la Côte d’Albâtre », 25 septembre 2019. https://www.lemonde.fr/m-styles/article/2019/09/25/voyage-impressionniste-sur-la-cote-d-albatre_6013039_4497319.html.
- Conservatoire du littoral, FALAISES ET VALLEUSES DE LA CÔTE D’ALBÂTRE
- Week-end sur la Côte d’Albâtre - Échappées belles. 2018. https://www.youtube.com/watch?v=BF4B0DQSXao.
- « Guy de Maupassant, impressions normandes ». s. d. Consulté le 27 octobre 2020. https://www.patrimoine-normand.com/index-fiche-38424.html.
- « Comment les falaises d’Étretat et de Douvres se sont-elles formées ? » s. d. Consulté le 27 octobre 2020. https://www.futura-sciences.com/planete/questions-reponses/geologie-falaises-etretat-douvres-sont-elles-formees-6920/.
- « De Granville à Fécamp, La pêche à la morue, une véritable industrie ». s. d. Consulté le 27 octobre 2020. https://www.patrimoine-normand.com/index-fiche-29689.html.
- « Fécamp: capitale ducale, capitale des terre-neuvas ». s. d. Consulté le 27 octobre 2020. https://www.patrimoine-normand.com/index-fiche-29735.html.