Serial reporter



Histoire
Greyfriars kickyard
Un cimetière écossais étonnant

Les cimetières écossais sont auréolés d’une atmosphère particulière. Mélancoliques, poétiques et reposants, ce sont aussi des lieux où les légendes sont souvent indissociables de la réalité historique. Le Greyfriars kickyard ne déroge pas à la règle !
Ce cimetière attenant à l’église Greyfriars se trouve à l’extrémité sud d’Edimbourg, dans la vieille ville. Le cimetière est construit sur le site d’un ancien monastère franciscain édifié par Jacques Ier (le fils de Mary queen of scots) pour les inciter à s’installer à Edimbourg. Il tire son nom de l’ordre monastique des « frères gris » (grey friars) allusion à leur habit gris.
En 1562, il n’y plus assez de place dans le cimetière de la cathédrale de Saint Giles pour enterrer les défunts. Pendant la période estivale, les habitants sont incommodés par les odeurs pestilentielles qui en résultent. Ils mettent sur pied une pétition qui est présentée au conseil municipal d’Edimbourg. Une sanction royale accorde la construction d’un nouveau lieu de sépulture à Greyfriars qui devient le cimetière officiel.
Dès le XVIIIème siècle, période de forte industrialisation, la capacité funéraire de Greyfriars se révèle insuffisante. Le nombre d’habitant a fortement augmenté et le cimetière enregistre près de 1200 inhumations à la fin du siècle. Une extension est ajoutée à l’ouest du site derrière l’hôpital Heriot. Dans les années 1860, la capacité maximale est à nouveau atteinte. A partir du XIXème siècle seules les familles possédant déjà des tombes sont autorisées à poursuivre les inhumations dans Greyfriars Kickyard. Aujourd’hui, le cimetière n’accueille qu’un très faible nombre de défunts dont l’inhumation doit être approuvée par la ville d’Edimbourg.
La signature du National Covenant :
Greyfriars Kickyard est un lieu clé dans l’histoire religieuse et politique écossaise. En effet, c’est en ces lieux qu’a été signé le National Covenant (alliance nationale) dans le contexte des réformes protestantes qui ont secoué l’Ecosse et plus largement l’Europe au XVIème siècle.
En 1560, le parlement écossais a voté la réforme écossaise et établit le presbytéranisme en tant que confession de la nation écossaise. La signature du covenant réaffirme les valeurs protestantes de l’Ecosse. Ce document engage les représentants du peuple écossais à défendre et maintenir la réforme écossaise contre le roi Charles Ier qui veut imposer les pratiques liturgiques anglicanes.

La signature du National Covenant à Greyfriars Kirkyard, Edinburgh - William Allan
Le 28 février 1638, une assemblée de nobles, roturiers, laïcs et pasteurs s’unissent en signant le National Covenant emmenés par le théologien Alexandre Henderson et Robert Baillie, ministre de l’église d’Ecosse.

Extrait du National Covenant
Les covenantaires sont déroutés contre les troupes royales à la bataille de Bothwell Bridge le 22 juin 1679. Après cette défaite, 1200 covenantaires sont emprisonnés dans la section Sud de Greyfriars Kickyard dans des conditions déplorables. Chaque prisonnier ne dispose que de 4 onces de pain par jour. Le lieu actuel qui rend hommage aux covenanters et que l’on appelle Covenanters Prison ne couvre qu’une petite partie du secteur où les prisonniers étaient détenus à l’époque. L’inner yard (la cour intérieure) s’étendait de l’est de la prison actuelle aux bâtiments de la rue Forrest Row.
Sur les 1200 covenantaires, environ 400 ont été exécutés, libérés après avoir prêté allégeance à la couronne ou ont réussi à prendre la fuite. En novembre 1679, les 257 hommes restants sont bannis dans les colonies américaines mais le navire fait naufrage dans les îles Orcades. Seuls 48 prisonniers survivront.



The Mackenzie poltergeist, l'entite malveillante du cimetière :
De l’époque où les covenantaires ont été emprisonnés, le cimetière garde des stigmates originaux. Si le cimetière a été un lieu de détention sordide, il a finalement accueilli leur tortionnaire.
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Georges Mackenzie est Lord Avocate (avocat de sa majesté) Charles II. En son nom, il organise la persécution des covenantaires refusant de se conformer. Les exécutions, maltraitances et tortures qu’il ordonne par centaines lui ont valu le surnom de « Bloody Mackenzie ». Assez ironiquement, Mackenzie est inhumé dans le cimetière Greyfriars.
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En 1999, lors d’une nuit particulièrement froide, un SDF en quête d’abri entre dans le mausolée.
Dans certaines versions, le vagabond est piqué par la curiosité et tente d’ouvrir le caveau quand le sol s’effondre sous ses pieds. Plus vraisemblablement, le sol en très mauvais état cède sous son poids. Toujours est-il qu’il se retrouve nez-à-nez avec les restes de Lord Mackenzie. Selon les spécialistes des poltergeist, ce serait l’élément qui aurait ramené à la vie l’esprit du lord. De nombreuses manifestations étranges ont été rapportées par les visiteurs du cimetière notamment ceux qui assistaient à des tours organisés : des points chauds, des points froids, des odeurs pestilentielles, des griffures, ecchymoses inexpliquées, des doigts cassés… 350 attaques ont été documentées et 170 personnes ont rapporté s’être évanouies.
Les portes du Mausolée sont désormais verrouillées mais les enfants s’amusent toujours à défier le poltergeist en frappant 3 fois à la porte et en répérant « Bluidy Mackingie, come oot if ye daur, lift the sneck and draw the bar ! » (bloody mackenzie, sors si tu l'oses, soulève le loquet)
Bobby greyfriars, le chien le plus loyal d'edimbourg :
Le cimetière abrite autre spectre plus inoffensif et rudement plus sympathique : celui d’un Skye terrier nommé Bobby.
Selon la légende, en 1850, John Gray, jardinier, fuit la campagne pour trouver du travail à Edimbourg avec sa famille. Ses recherches restent vaines dans un premier temps. Il décide alors de rejoindre la police d’Edimbourg et accepte un poste de veilleur de nuit. Pour lui tenir compagnie pendant ses longues veillées, il adopte Bobby, un jeune terrier de 6 mois. En 1858, John est emporté par la tuberculose et est enterré au Greyfriars Kickyard. Bobby, inconsolable, reste couché sur la tombe de son maître. Forcé par la faim et chassé par le gardien des lieux, Bobby est contraint de quitter le cimetière. Mais il y revient tous les jours pendant 14 ans. Attendri, le gardien du cimetière finit par lui construire un abri de fortune. Bobby est désormais un pensionnaire à part entière du cimetière. Il attire l’attention des habitants d’Edimbourg qui le nourrissent.
Bobby avait l’habitude de déjeuner avec son maître au restaurant attenant, le Traill's Temperance Coffee House. Le chien ne quitte sa tombe qu’à midi pile pour quémander à ce même restaurant son bout de brioche et son os. Les propriétaires émus ont servi Bobby jusqu'à sa mort. Il sera enterré dans le même cimetière que son propriétaire. C’est sa tombe, à l’entrée du cimetière, que l’on voit en premier.
Une statue à l’effigie du petit chien est érigée devant le cimetière. On murmure que lui frotter la truffe porterait chance, d’où la décoloration caractéristique visible sur son museau…
Cette histoire réconfortante a inspiré plusieurs artistes : la romancière Eleanor Atkinson écrira une nouvelle dédiée à Bobby tandis que Walt Disney lui rend hommage dans le film Bobby des Greyfriars en 1961.

La tombe de Bobby Greyfriars, les passants déposent des bouts de bois ainsi que des jouets de chien en hommage au skye terrier le plus loyal d'Edimbourg.



« Greyfriars par une ruisselante soiree d'automne ! Tapis en rangs tenebreux, les vieilles tombes etaient drapees de mystère. La brume etait emportée par le vent et la fumee se repandait sur leurs formes sombres.
Là où les familles etaient assises près de leurs maigres soupers, les lumières des bougies et des lampes etaient floues. Le halo le plus faible etait suspendu au-dessus de la pointe du château. Des pas frequents se precipitent vers la porte. Il y eut le cliquetis d'une charrette tardive, la sonnerie d'une cloche d'eglise eloignee. Mais même ces nuits-là, les vantaux s'ouvraient et de petits visages se tournaient vers le kirkyard melancolique. Des bougies scintillèrent un instant dans l'obscurite, et doucement et clairement les gamins de l'immeuble appelèrent:
« Bonne nuit à toi Bobby »
Ils ne pouvaient pas voir le petit chien, mais ils savaient qu'il etait là. Ils savaient maintenant qu'il serait toujours là quand ils ne pourraient plus le voir - son corps une partie du sol, sa memoire une partie de tout ce qui etait cher et imperissable dans ce vieux jardin des âmes. Ils pourraient monter à la loge et regarder son celèbre collier, et ils auraient son image en bronze sur la fontaine. Et parfois, quand la porte mysterieuse s'ouvrait pour eux, ils pourraient revoir Bobby, un toutou courant sur les verts pâturages et au bord des eaux calmes, sur les talons de son maître berger.»
Extrait de la nouvelle d'Eleanor Atkinson (1863–1942)
L’histoire est-elle trop mielleuse pour être vraie ? Vraisemblablement ! Le Dr Jan Bondeson, un historien de l’université de Cardiff a étudié la question et il semblerait que le doucereux conte de Bobby soit en fait un coup de pub… Bobby est en fait un chien errant autour de l’hôpital Heriot et emmené ensuite dans le cimetière Greyfriars possiblement par son conservateur. Ce dernier le nourrit et le chien soudoyé ne quitte évidemment plus le cimetière. Les passants supposent alors que le chien pleure son maître.
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Les visiteurs du cimetière se font de plus en plus nombreux, se pressant pour voir le petit chien loyal. Ils donnent de l’argent au conservateur et fréquentent le restaurant local.
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Vers 1867, le chien meurt et est remplacé par un autre afin de conserver les avantages dues à l’affluence des clients. Autrement comment Bobby aurait pu vivre 18 ans alors que les skye terriers ont une espérance de vie de 12 ans en moyenne ?
Sources :
- « Cimetière, mémorial... - GREYFRIARS KIRK & KIRKYARD - Édimbourg - Edinburgh ». s. d. www.petitfute.com. Consulté le 29 octobre 2020. https://www.petitfute.com/v55327-edimbourg-edinburgh/c1173-visites-points-d-interet/c933-cimetiere-memorial/439522-greyfriars-kirk-kirkyard.html.
- Edinburgh Graveyards Project: Documentary Survey for Canongate Kirkyard
- Universalis, Encyclopædia. s. d. « COVENANT ». Encyclopædia Universalis. Consulté le 29 octobre 2020. https://www.universalis.fr/encyclopedie/covenant/.
- « The Scottish National Covenant ». s. d. Consulté le 29 octobre 2020. http://bcw-project.org/church-and-state/crisis-in-scotland/scottish-national-covenant.
- « Greyfriars’ Prison ». s. d. Consulté le 30 octobre 2020. http://www.covenanter.org.uk/greyfriars_prison.html.
Juillet-Garzon, Sabrina. 2011. « Le rôle de la Kirk dans la réforme de l’Église d’Angleterre de 1639 à 1647 ». Études écossaises, no 14 (mars): 243‑54. https://doi.org/10.4000/etudesecossaises.459.
- « Covenantaire ». 2020. In Wikipédia. https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Covenantaire&oldid=175090835.
- « Greyfriars Bobby, by Eleanor Atkinson ». s. d. Consulté le 30 octobre 2020. http://www.gutenberg.org/files/2693/2693-h/2693-h.htm.
Daily. 2011. « A very Victorian hoax! Greyfriars Bobby who kept vigil over his master’s grave for 14 years was “a publicity stunt” ». Mail Online. 3 août 2011. https://www.dailymail.co.uk/news/article-2021906/Greyfriars-Bobby-hoax-Dog-kept-vigil-masters-grave-publicity-stunt.html.
- « Peeves’s Edinburgh Tomb ». s. d. Consulté le 30 octobre 2020. https://www.pottertour.co.uk/blog/greyfriars-george-mackenzie-poltergeist.html.
- « The Covenanters’ Prison, Edinburgh, 1679 #History #Scotland ». 2016. Jardine’s Book of Martyrs (blog). 5 décembre 2016. https://drmarkjardine.wordpress.com/2016/12/05/the-covenanters-prison-edinburgh-1679-history-scotland/.